L'article 8, § 4 du Code de la nationalité belge prévoit la perte automatique de la nationalité belge de l'enfant mineur non émancipé lorsque la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée cesse d'être établie. La Cour constitutionnelle (ci-après la Cour) s'est prononcée sur l’inconstitutionnalité de cette disposition à travers deux arrêts importants.
1. Arrêt de la Cour Constitutionnelle n° 12/2023 du 19 janvier 2023
A l’origine de cette affaire se trouve une petite fille née à Anvers d'un couple étranger. La filiation paternelle n'avait pas été établie envers le père biologique, mais envers un tiers belge, ce qui avait permis à l'enfant de devenir belge. Il s’est ensuite avéré qu'il s'agissait d'une reconnaissance frauduleuse, de sorte que filiation paternelle a été considérée comme non avenue. En conséquence, conformément à l'article 8, § 4 du Code de la nationalité belge, la petite fille a perdu sa nationalité belge.
Une procédure judiciaire a alors été initiée par les parents. Le Tribunal de la famille d'Anvers a jugé que cette perte de nationalité produisait des effets disproportionnés pour l'enfant. Le Tribunal a donc annulé la décision de l’officier de l’état civil de radier la nationalité belge de l’enfant.
Le procureur du Roi a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d'appel, laquelle a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle belge. Il s'agissait de déterminer si l'article 8, § 4, du Code de la nationalité belge violait la Constitution, en particulier le principe de principe d'égalité et de non-discrimination, en établissant une différence de traitement entre les mineurs (perte automatique de la nationalité) et les majeurs (qui conservent leur nationalité) lorsque la filiation cesse d’être établie.
Dans son arrêt n° 12/2023 du 19 janvier 2023, la Cour s’est tout d’abord référée à la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne en matière de perte de nationalité. Elle a rappelé que, bien que la nationalité soit régie par le droit national, la perte de la nationalité, dans une situation susceptible d'entraîner la perte du statut de citoyen européen et des droits y afférents, relève du droit de l'Union (point B.6.3).
La Cour constitutionnelle a ensuite reconnu que les objectifs du législateur, à savoir faire dépendre l'attribution et la conservation de la nationalité de l'existence d'un lien effectif avec la société belge, étaient légitimes. De plus, elle a considéré que la différence de traitement entre mineurs et majeurs était justifiée, car un enfant mineur est généralement dépendant juridiquement de ses parents.
Cependant, la Cour constitutionnelle a conclu qu’il n’est pas proportionné aux objectifs du législateur « de priver le mineur concerné de la possibilité de contester la perte de plein droit de sa nationalité belge et de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte, si les effets concrets de celle-ci s’avèrent excessifs » (point B.8.1 de l’arrêt, nous soulignons).
La cour a également souligné que « Lors de l’examen du caractère excessif ou non des effets, le juge doit apprécier la situation individuelle du mineur, et plus spécialement l’impact de la perte de la nationalité belge et des droits qui en découlent sur sa vie privée et familiale et sur son développement personnel, notamment à la lumière des possibilités de séjour légal dont le mineur dispose en sa qualité d’étranger. À cet égard, il convient de tenir compte en particulier de l’article 22bis, alinéa 4, de la Constitution, qui prévoit que, dans toute décision qui le concerne, l’intérêt de l’enfant est pris en considération de manière primordiale » (point B.8.1 de l’arrêt, nous soulignons).
La Cour a également affirmé que même en cas de fraude, l'enfant ne peut être tenu responsable du comportement frauduleux de ses parents (point B.8.2 de l’arrêt).
La Cour constitutionnelle a conclu que l'article 8, § 4, du Code de la nationalité belge viole le principe d'égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution belge) en ne prévoyant pas la possibilité pour un mineur de demander à une juridiction l'annulation rétroactive de la perte automatique de la nationalité lorsque les conséquences concrètes de cette perte sont disproportionnées (point B.9.1 de l'arrêt).
À la suite de cet arrêt, il incombait au législateur de modifier la loi afin d'introduire un tel recours juridictionnel.
2. Arrêt de la Cour Constitutionnelle n° 77/2024 du 4 juillet 2024
Un nouveau délai de six mois est ouvert pour l’introduction d’un recours en annulation d’une loi, lorsque la Cour, statuant sur une question préjudicielle, a déclaré que cette loi viole la Constitution. L’objectif d’un tel mécanisme étant d’éviter le maintien dans l’ordre juridique belge de dispositions inconstitutionnelles.
Dans ce contexte, un recours en annulation de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge a été introduit le 22 mars 2024 par l’ASBL « Ligue des droits humains ».
Dans son analyse, le Cour commence par constater l’absence de modification de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge depuis la publication de l’arrêt n° 12/2023 précité.
Le Conseil des ministres a soutenu qu'à la suite de l’arrêt 12/2023, le législateur belge a adopté les articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », précisément pour rendre la législation belge conforme à l'arrêt n° 12/2023. Ces articles prévoient dorénavant qu’en cas d’anéantissement du lien de filiation vis-à-vis d’un auteur belge, le juge se prononce sur le maintien éventuel de la nationalité belge de l’enfant ».
La Cour constitutionnelle a toutefois estimé que l’adoption de ces dispositions n’était pas suffisante : les articles165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 sont en effet entrés en vigueur le 8 avril 2024. Dès lors, l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge attaqué a continué de produire ses effets discriminatoires à l’égard des personnes mineures dont la filiation avec leur auteur belge a cessé d’être établie avant le 8 avril 2024, entraînant pour eux la perte de la nationalité en vertu de la disposition attaquée.
La Cour a ensuite réitéré l'analyse formulée dans son arrêt n° 12/2023 quant à la légitimité des objectifs du législateur, le caractère justifié de la différence de traitement, mais l’absence de proportionnalité entre la mesure et les objectifs.
Par conséquent, le Cour a annulé « l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable jusqu’à l’entrée en vigueur des articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024 « portant dispositions en matière de digitalisation de la justice et dispositions diverses Ibis », en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité, pour un mineur non émancipé qui a perdu de plein droit la nationalité belge parce que la filiation sur la base de laquelle cette nationalité a été attribuée a cessé d’être établie, de demander à une juridiction d’annuler rétroactivement cette perte lorsque les conséquences concrètes sont disproportionnées ».
3. Perspectives
Sauf précisions contraires de la Cour constitutionnelle, une annulation d’une disposition législative par la Cour constitutionnelle a un effet rétroactif, ce qui signifie que la norme annulée est réputée n’avoir jamais existé. Toutefois, les actes administratifs et les décisions judiciaires pris en application des dispositions législatives annulées continuent d’exister. Des recours extraordinaires peuvent néanmoins être introduits dans un délai de six mois à compter de la publication de l'arrêt au Moniteur belge, conformément à la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle (articles 9 et suivants de Loi spéciale du dans le 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle).
Ainsi, l’annulation par la Cour constitutionnelle de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge, tel qu’il était applicable jusqu’à l’entrée en vigueur des articles 165 et 166 de la loi du 28 mars 2024, ne suffit malheureusement pas à annuler d’office et rétroactivement les pertes de la nationalité belges intervenues en application de l’article 8, § 4, du Code de la nationalité belge avant le 28 mars 2024. Toutefois, l’arrêt 77/2024 ayant été publié au Moniteur belge le 24 juillet 2024, des recours peuvent donc être envisagés avant le 24 janvier 2025 pour les enfants ayant perdu leur nationalité belge avant du 28 mars 2024 en application de l’article 8 § 4, du Code de la nationalité belge.
On peut bien entendu se réjouir de ces arrêts, qui réaffirment l’importance primordiale de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de nationalité et la nécessité de distinguer clairement le comportement des parents, même s’il est frauduleux, des conséquences que cela peut avoir sur l’enfant. La Cour constitutionnelle rappelle ainsi que les enfants ne doivent pas être aveuglements pénalisés pour des actes qu’ils n’ont pas commis et sur lesquels ils n’ont eu aucun contrôle.
Ces décisions encourageantes peuvent être mises en perspective avec d’autres problématiques, notamment le cas des enfants de parents belges ayant acquis une double nationalité avant 2006, lorsque la double nationalité n’était pas encore acceptée par la Belgique. Ces enfants ont perdu la nationalité belge en même temps que leurs parents, sans possibilité de recours. Pour eux, une procédure de recouvrement est éventuellement envisageable, sous des conditions strictes et notamment à condition qu’ils aient résidé en Belgique pendant plus d’un an. Toutefois, même en cas de décision positive, ce recouvrement ne vaudra que pour l’avenir c’est à dire sans effet rétroactif. Tel ne répond pas aux exigences de la Cour de Justice de l'Union européenne et de la Cour Constitutionnelle.
Les arrêts ici analysés abondent dans le sens de la position défendue par Altea depuis plusieurs années : un examen au cas par cas devrait être possible dans des situations où les effets de la perte de nationalité apparaissent disproportionnés, notamment pour les enfants.
Céline Verbrouck
Avocate associée Altea
Spécialiste en droit des étrangers et droit international privé de la famille