- Modification
La loi du 15 mai 2024 « modifiant le Code de la nationalité belge, en vue de permettre aux époux des agents diplomatiques ou consulaires belges d'accéder à la nationalité belge » a été publiée au Moniteur belge le 12 juin 2024.
A l’origine de cette modification, un constat d’injustice lié à la réforme du Code de la nationalité belge de 2012 qui a souhaité subordonner, en principe, toute demande de nationalité belge à un séjour légal préalable en Belgique depuis au moins 5 ans sans interruption.
Or, le conjoint ou le cohabitant légal d’un diplomate belge est bien évidemment contraint de résider à l’étranger avec sa famille qui ne reste en principe pas plus de 3 ans sur le territoire avant une nouvelle affectation. Au surplus, son rôle est souvent particulièrement méritoire (représentation) tout en étant généralement interdit de travailler en raison de risque d’incompatibilité de fonctions. Si ce conjoint n’est pas Belge, il expérimente en outre en pratique de multiples complications administratives et des limitations de circuler et séjourner plus strictes que pour le ou les membres de sa famille belge.
Un alinéa est donc ajouté à l’article 7 bis, § 2, du Code de la nationalité belge qui définit le « séjour légal » pour tenir compte des « périodes passées à l’étranger, dans le cadre des affectations spécifiques à la carrière de leur époux, suivant ou précédant immédiatement les périodes passées sur le territoire belge dans le même cadre ».
Il faudra cependant attendre un arrêté royal d’exécution pour son entrée en vigueur, laquelle est fixée au plus tard au 1er janvier 2025.
La loi indique que l’arrêté royal devra, sur proposition du ministre des Affaires étrangères, établir « la liste des documents qui établiront qu’un séjour à l’étranger d’un demandeur est effectivement imposé par l’affectation spécifique à la carrière de son époux ».
Cette phrase pose question.
- Questionnements et occasions manquées
Le droit de vivre en famille est un droit fondamental, notamment garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par l’article 22 de la Constitution belge. Sous la contrainte ou non, il est toujours légitime de vouloir vivre en famille. Il s’agit même d’un devoir du mariage (article 213 du code civil) pour les Belges. S’agirait-il d’une loi de police ou d’une mesure d’ordre public applicable à un ressortissant étranger ? Faudrait-il plutôt regarder si, selon le droit national du conjoint ou du cohabitant légal étranger, tel que ce droit est interprété dans ledit pays, il est obligé de vivre avec son partenaire ou conjoint ? Cela n’a pas de sens et conduirait à des complications considérables attentatoires au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées. Selon nous, la contrainte se trouve dans le chef de l’agent diplomatique ou consulaire (ou assimilé) belge, sauf à renoncer à une affectation.
Ainsi, on voit très difficilement quel autre document qu’un simple acte de mariage ou de partenariat enregistré pourrait être exigé par l’arrêté royal à venir. Précisons cependant que si le partenaire est un citoyen ressortissant de l’Union européenne, dans ce cas, il doit pouvoir simplement prouver une relation de fait durable, sous peine pour notre loi nationale de violer une norme internationale (directive européenne 2004/38 relative au droit des citoyens de l’Union et de leurs familles de circuler et de séjourner librement dans l’Union européenne).
De plus, la proposition initiale qui était de permettre une naturalisation pour mérites exceptionnels a été écartée (Proposition de loi du 18 septembre 2023 DOC 55 – 3572/001, pp. 10180 et ss.). Dès lors, un arrêté royal qui tendrait à devoir démontrer des services rendus à la nation durant le séjour à l’étranger serait contraire à l’esprit de la loi. Ceci exclut aussi à notre sens la possibilité d’exiger une certaine durée de mariage ou de partenariat enregistré.
Indépendamment des documents qui devront être soumis, il reste des nombreux défauts et manquements liés à la modification législative dont ici question.
Tout d’abord, il faut regretter que l’occasion n’ait pas été donnée aux personnes visées, d’introduire une demande de nationalité depuis le poste diplomatique belge à l’étranger. Or, en pratique, à défaut, cela pourrait conduire un demandeur à devoir attendre bien plus que 5 ans avant de pouvoir introduire une déclaration de nationalité, ce qui n’était pas souhaité.
A la lecture des travaux parlementaires, on comprend que le législateur a voulu ne pas donner l’impression qu’il privilégiait des personnes qui pourraient déjà paraître privilégiées. Néanmoins, on voit mal comment, en pratique, les personnes visées vont pouvoir rencontrer facilement les 5 hypothèses légales d’accession à la nationalité belge par voie de déclaration. Nous ne pouvons pas nous ranger à l’avis selon lequel il n’y aurait pas d’obstacles objectivement insurmontables à rencontrer les conditions de l’article 12bis du Code de la nationalité (Ch. DOC 55, 3572/002, p. 3).
Par exemple, cumuler 5 ou10 ans de séjour légal ininterrompu comme l’exige la loi pour faire une demande de nationalité par « déclaration », même avec l’assouplissement de la définition du séjour légal dont ici question, est quasiment impossible en pratique dans un tel contexte de mobilité internationale où il y aura nécessairement des statuts différents, des titres de séjour problématiques (des attestations d’immatriculation, des séjours diplomatiques, …).
Autre exemple, la condition de participation économique (travail) en Belgique restera d’application pour l’étranger qui ne cumule pas 10 ans de séjour légal, n’est pas invalide, n’a pas atteint l’âge de la pension, n’est pas le parent d’un enfant belge, ne réside pas en Belgique depuis 3 ans dans les liens du mariage avec un Belge, n’a pas un master (ou équivalent) en Belgique auprès d’une institution reconnue. Bref, sans doute une proportion très importante des étrangers visés par la réforme. Ce faisant, le législateur belge n’a pas pris en compte, sans justification, le fait qu’ils étaient pourtant le plus souvent interdits de travailler pour motifs de risques d’incompatibilités de fonctions avec celle de l’agent diplomatique ou consulaire à l’étranger.
- Perspectives
En conclusion, selon nous, il reste donc des discriminations injustifiées et la réforme passe à côté de son objectif de mettre totalement sur un pied d’égalité le conjoint étranger d’un diplomate belge et le conjoint étranger d’un Belge résidant en Belgique. Il faudra donc analyser les situations individuelles au regard de cet objectif. Parions que la Cour constitutionnelle aura à se prononcer.
Une clarification du législateur pour permettre l’introduction de ces déclarations de nationalité depuis l’étranger serait déjà un correctif plus conforme à sa volonté. Ce ne serait pas les premières puisqu’il est possible de faire certaines déclarations de recouvrement de nationalité depuis l’étranger, tout comme des demandes sur base de la possession d’état lorsqu’une personne a été considérée comme Belge par erreur pendant un certain temps. On se demande pourquoi les partenaires des diplomates ne pourraient pas bénéficier du même régime. Le législateur ne s’en explique pas.
En attendant, il faut souhaiter que l’autre voie d’acquisition de la nationalité par « naturalisation » (article 19 du Code de la nationalité) pour mérites exceptionnels de type socio-culturels soit utilisée avec souplesse et succès pour ces personnes.
Céline Verbrouck
Avocate associée ALTEA
Spécialiste en droit des étrangers et droit international privé de la famille
+32(0)2/894 45 70