Le 19 novembre 2025, un projet de loi « relatif aux tests de drogue dans les maisons de transition et à la déchéance de nationalité belge » a été déposé à la Chambre (DOC 56 1164/001).
Dès la lecture, un malaise s’impose : on part d’une question de gestion de la drogue en détention pour durcir sensiblement le régime de la déchéance de nationalité, même sans lien avec la thématique des stupéfiants.
En résumé sur la nationalité, le projet :
- impose au juge de se prononcer d’office sur la déchéance en cas de condamnation pour terrorisme ;
- il prolonge le délai pour prononcer des déchéances et ,
- il élargit les infractions visées incluant notamment les « faits de mœurs ».
En ce que le texte imposerait au juge de se prononce d’office sur la déchéance en cas de terrorisme, alors qu’il en a déjà la possibilité, ceci peut apparaitre comme une forme de défiance envers les juges. En tout état de cause, si elle entre en vigueur, la mesure va ajouter des tâches à des juridictions déjà à bout de souffle.
De manière plus globale, le Conseil d’État a clairement souligné que les modifications en matière de nationalité de ce projet posent des questions de conformité à la constitution, faute de motivation suffisante.
Le gouvernement a répondu de manière très sommaire et peut étoffée à l’avis du Conseil d’État expliquant notamment que l’esprit de la loi serait conforme à celui de l’article 8.3 de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Tel n’est pourtant pas le cas. Cette disposition prévoit une dérogation exceptionnelle au fait pour un État de rendre une personne apatride, si celle-ci s’est rendue coupable de comportements d’une gravité extrême, tels les atteintes graves à la sécurité de l’État ou des actes de trahison ou d’hostilités tels que l’espionnage, les crimes dirigés contre l’État lui-même, … Il ne s’agit pas alors d’un outil général de politique pénale au sens large même pour des faits très graves. Le projet belge actuel invoque donc à tort cette disposition pour justifier de son dispositif pénal beaucoup plus large, incluant les possibilités de déchéances à des infractions très diverses, y compris des faits de mœurs et cela, sans motiver précisément les situations qui pourraient, éventuellement, justifier une telle extrémité. Le renvoi à la Convention de 1961 est donc trompeur si on le présente comme un feu vert général à multiplier les cas de déchéance, y compris dans des hypothèses sans lien direct avec la sécurité de l’État.
En clair : oui, la Convention tolère, à titre tout à fait exceptionnel, certaines déchéances même au prix de l’apatridie ; non, elle ne légitime pas un régime large, flou et politisé, où l’on mélange terrorisme, criminalité organisée et faits de mœurs sous un même parapluie.
Les justifications ajoutées par le gouvernement sont donc loin de répondre aux remarques formulées par le Conseil d’État.
Chaque déchéance potentielle entraînera aussi des conséquences en cascade devant l’Office des étrangers et à sa suite, probablement le Conseil du contentieux des étrangers.
Les étrangers sans droit de séjour sont déjà expulsables en cas de trouble à l’ordre public. Ceux qui ont des titres de séjour peuvent se les voir retirer pour troubles à l’ordre public. Alourdir les peines ou introduire la déchéance de nationalité ne règlera pas pour autant les problèmes très concrets de l’exécution des expulsions de ces étrangers, si tel était un but recherché par la Belgique. Notamment parce que certains États étrangers refusent de reconnaître leurs ressortissants et, ainsi, ne délivrent pas de laissez-passer.
Ainsi, le projet ne permettra ni de vider nos prisons bondées, ni de vider le pays des personnes considérées comme dangereuses. Priver un binational de sa nationalité belge ne répondra pas, en pratique, au besoin légitime de sécurité de la population. C’est un signal politique, certes, mais pas une solution opérationnelle.
Si elle est adoptée, la loi aura simplement créé des situations plus précaires, plus litigieuses, plus coûteuses entrainant une surcharge irresponsable de travail pour la justice et les administrations.
Céline Verbrouck
Avocate au barreau de Bruxelles
Spécialisée en droit de l’immigration, de la nationalité et du droit international de la famille
www.altea.be
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